Body and Soul : la chanson page 2 | ||
La structure de Body and
Soul Le couplet
Entendons-nous bien sur le terme. Pour nous, maintenant,
le couplet (en anglais, verse) raconte une histoire, et le refrain
(chorus, ou refrain), d’une durée sensiblement égale au
couplet, est la partie la plus accrocheuse et la plus répétitive de la
chanson. Il s’inscrit dans une structure alternant couplet – refrain
– couplet – refrain…. Le couplet d’une chanson de Broadway des années 30
a une fonction différente : il s’agit d’une partie liminaire
qui prépare l’auditeur en captant son attention (rôle de transition
avec le numéro précédent), annonce le thème de la chanson, apporte des
éléments nécessaires à sa compréhension, et à son intégration dans
la scène. Il est rarement utilisé en-dehors du contexte spécifique pour
lequel il a été conçu. Il arrive cependant que des standards soient interprétés
avec leur couplet d’introduction—pensons à ‘Night
and Day’, de Cole Porter (Gay
Divorce, 1932) ou, pour le lecteur purement francophile, à “Autumn
Leaves/Les Feuilles Mortes” par exemple, que les chanteurs et
chanteuses de jazz interprètent assez souvent avec son couplet, “Oh je
voudrais tant que tu te souviennes…”. Cette pratique est cependant
beaucoup plus rare chez les instrumentistes : musicalement, le
couplet est généralement une longue ligne mélodique peu accrocheuse
(l’accroche, l’idée musicale la plus séduisante, étant réservée
pour le refrain). Il se rapproche fréquemment du récitatif, et, même si
une forme en A1A2 (2 x 4 lignes, la même mélodie
étant répétée, sauf pour sa conclusion) était courante,
l’insuffisance de répétition structurale et d’intérêt harmonique
fait généralement du couplet un piètre support pour l’improvisation.
Quand il est utilisé, le couplet conserve généralement sa fonction
d’introduction — une ouverture ‘composée’, arrangée :
comparez par exemple les deux arrangements différents du couplet de ‘Night
and Day’ par Django Reinhardt en
1947 et 1953 sur le double-CD Pêche à la mouche (Verve 835
418-2). Le
couplet de ‘Body and Soul’ est de 16 mesures. Voici une description par Alec
Wilder de sa musique (notre traduction) : Son couplet est
aussi étrange et sans précédent que son refrain. Basé sur une pédale
de Fa [Mi bémol dans notre partition, qui est dans la tonalité
courante], il monte jusqu’à un Sol haut par des intervalles difficiles,
chacun étant soutenu par un accord. Après quatre mesures, la tonalité
change de 4 bémols à un bémol. Après ces 8 mesures dramatiques, nous
trouvons une nouvelle idée en La mineur, mais cette fois sans que chaque
note soit enveloppée dans un accord. Puis, après un retour à un accord
de Do7 de dominante, une dernière croche de La bémol annonce d’autres
innovations. Et nous retrouvons effectivement 3 bémols à la clé, et
donc Fa mineur, qui est la tonalité dans laquelle le refrain commence. Il
s’agit donc d’un couplet d’une complexité inhabituelle, d’un
abord peu aisé. Le public des théâtres new-yorkais devenait exigeant,
et les chansons plus intéressantes, faisant appel à une certaine
culture, tant musicale que littéraire. Le
refrain
Après le couplet vient le refrain ou chorus, dont on distingue les trois parties A, à-peu-près identiques musicalement, et le pont B (en anglais, release ou bridge). Dans une construction de ce type, A1A2BA3, le pont B est en principe très distinct, des points de vue de la mélodie, de l’harmonie et parfois du rythme, des parties A. Dans ‘Body and Soul’, le contraste A/B est presque exclusivement harmonique, et la relative complexité harmonique et mélodique du pont (dans 2 tonalités différentes de celle des A, soit 3 changement de tonalité en 8 mesures) explique sans doute en grande partie l’intérêt qu’y trouvent les improvisateurs depuis 70 ans : le pont vient relancer l’intérêt d’un thème qui serait un peu terne sans lui. Pour les jazzmen, et les instrumentistes en particulier, un standard est habituellement limité au refrain : sa mélodie, et surtout sa grille harmonique servant de support à l’improvisation. De là l’expression “prendre un chorus”, pour l’improvisation sur une grille complète. C’est la seule partie de la chanson qui doive retenir l’attention de l’étudiant de ‘Body and Soul’ en tant que standard de jazz. |
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